La double face du Masque

du Jeu du Phénix

Par Sébastien Bickert

Août 2018  

 

Pour télécharger la version PDF: La double face du Masque

Le Jeu du Phénix est un tarot philosophique, crée par le philosophe et écrivain Vincent Cespedes.

Une création qui conjugue le ludique et le philosophique.

 

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Dans cet article, je fais l’analyse d’une carte en particulier : Le Masque !

 

Une réflexion au travers du symbolisme qui passe par le théâtre Nô japonais, la Grèce antique (avec les figures de Gorgô-Méduse et de Dionysos), et qui fait la part belle au théâtre de masque et au clown, surtout par rapport à ce que la pratique de ces arts peut apporter en terme de "développement personnel".

 

Masque 6 du Jeu du Phénix

Une carte, deux flammes:

En onde de CHOC : 6 Le Masque : http://www.jeuduphenix.com/node/67

En onde de CHARME :-6 Le Masque Fou : http://www.jeuduphenix.com/node/68

La première fois que j'ai vu la flamme, j'ai pensé à un masque féminin de théâtre nô japonais.

J’ai fini par trouver l'image d'origine, il s'agit d'une œuvre de l'artiste sculpteur contemporain Motohiko Odani - From the series Malformed Noh-masks, datée de 2008, inspirée d'un masque de théâtre mais pas vraiment un masque de théâtre. Il n’a pas la même fonction, c’est une œuvre d’art conçu pour être exposée sur un mur, une déviation par rapport au masque traditionnel.

 

  Masque d'Odani

Motohiko Odani, Malformed Noh-Mask Series: San Yujo, 2008

Wood, natural mineral pigment, Japanese lacquer

 

La partie centrale est écorchée, c’est comme s’il se créait une ouverture qui laisse apparaître ce qu'il y a sous la peau : un œil pour le moins troublant.

(Dans la même série, Odani a fait d’autres masques à moitié écorchés. cette surface où la peau manque est « blessure ». Sur la relation entre blessure et masque je renvois à un autre article que j’ai rédigé : Une blessure à l’ombre du masque.)

Le modèle d’Odani semble être celui de Deigan (Je l’identifie aux nombres de cheveux, les japonais ne rigolent pas avec le respect de la tradition), en tous cas c'est encore une jeune femme. Deigan, c’est le nom du masque en tant que type, mais ce masque peut jouer différents rôles.

 

Deigan

Deigan, The Secrets of Noh Masks de Michishige Udaka. À droite, un photomontage pour retrouver le modèle d’Odani.

Deigan, caractérisée par des yeux d’or… le signe d’« une existence au-delà du monde temporel ».

 

Mais revenons au Masque du Jeu du Phénix. Masque qui est épinglé au côté d’autres créatures mortes. Tableau de chasse morbide !

 

Tableau de chasse

 

Composition surchargée d’éléments que l’on ne peut toucher, dont on ne peut pas se servir.

 

Je peux témoigner, en tant que facteur de masques pour le théâtre, qu’un masque accroché au mur est, sinon mort, du moins en sommeil. Les masques que je créais n’ont pas vocation à servir de décoration, ils doivent être joués !

(Cela dit, J’avoue que j’ai moi-même des masques accrochés à mon mur ; c’est toujours plus sympathique pour eux que d’être oubliés dans un tiroir.)

Un masque de théâtre qui n'est pas porté est "en attente". On pourrait dire « vide », car c’est le comédien, de chair et d’os, qui remplit le masque. Même si le comédien « s’efface » derrière le masque en cachant son visage par cet autre prosopon - une "seconde peau" , sacrifiant, momentanément, son identité au service du masque/personnage. (Prosopon, en grec, désigne à la fois le visage et le masque de théâtre.)

En portant le masque, le comédien donne l'illusion de la vie à un objet inerte, c'est la magie du théâtre de masques (comme avec les marionnettes). Ce sont postures et mouvements du comédien qui sont expressives et animent le masque (animer = qui donne une âme).

Le théâtre de masques, même si le masque peut parler, est un art du geste, on parle de « théâtre corporel », de « corporalité ». Le masque/tête/visage y fait surtout office de « regard ».

Ses trais « caractérisent » plus ou moins. Le comédien doit faire avec la contrainte que représente un masque en particulier, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait qu’une seule manière de bien jouer un masque en particulier. Beaucoup d’approches théâtrales dites « traditionnelles » ont tendance à fixer les codes de jeu que les comédiens doivent respecter – au risque parfois de faire du théâtre un musée – de priver les artistes de leur créativité. (Je remercie néanmoins les familles de Nô d’avoir su préserver cet art.)

 

Pendentifs

 

Notre masque est agrémenté d'une foule d'éléments, sorte de collection exposée aux curieux, de quoi l'habiller tel un costume. Le costume, au théâtre, complète le masque et peut aussi fortement contribuer à caractériser le personnage. C’est qu’un même objet/masque peut être au service de différents personnages.

Par rapport à cette collection (de souvenirs ?) exposée, je pose la question : En quoi la décoration de notre espace de vie nous caractérise-t-elle ? Et qu’est-ce que le fait d’être un collectionneur peut nous apprendre sur le propriétaire de tout ça ?

 

Un masque expressif ?

Nous voyons un objet sculpté de manière artistique, et chacun, de son point de vue du moment, en aura une vision personnelle et unique.

 

Je me souviens d’un reportage où un moine tibétain explique que, tous les jours, il médite en fixant la statue de Bouddha... "Parfois le Bouddha est mécontent" dit-il, or, le Bouddha devrait être paisible, c'est l'état que recherche le moine, celui-ci projette sur la statue du Bouddha son état en cherchant à introjecter l’état de paix du Bouddha en lui. En fait, l'expression de la statue est "neutre" (le "neutre" étant un idéal, donc, plutôt une convention, je préfère parler du "neutre du Bouddha", une forme de neutralité mais pas La Neutralité, encore que l'état du Bouddha soit aussi un idéal). Certains utilisent des masques "neutres" pour trouver calme et disponibilité.

 

Un masque se caractérise par des trais fixes. Pour le masque de Nô, changer l'inclination du masque ou l'éclairage suffit à faire varier l'expression. C’est au niveau de la bouche que ça joue le plus. Mais le masque d’Odani est moins « neutre », et celui du jeu du Phénix encore moins.

 

Ce masque peut être effrayant, mais si, en tant que comédien, je devais le décrocher pour le jouer, je crois que je pourrais facilement lui faire jouer la souffrance… et la peur !

Sur le coté, un miroir et dans ce miroir, au loin, un couple: Correspondance avec le « Cri » de Munch.

 

Le Cri de Munch

Angoisse.

 

Si je me regarde dans cette flamme comme dans un miroir, je vois tous ces éléments qui me composent, si je m’identifie à cette image, je m’identifie à … cette « souffrance ».

En tant que "masque de souffrance", il pourrait représenter quelqu'un qui ne peut montrer que sa souffrance, quelqu'un qui s’identifie à sa souffrance et en devient prisonnier.

Masque que l’on voudrait arracher !

L'horreur suscite le dégoût, or, notre masque grimaçant pourrait lui-même exprimer du dégoût… c’est que, peut-être, lui aussi se regarde dans un miroir (ce que ses spectateurs lui renvoient).

 

Le contre ciel

René Daumal Le contre ciel (Gallimard 1955)

 

Bien que figé, ce masque conserve un certain pouvoir de fascination. « Mort », il n’en est pas pour autant sans présence pour le spectateur.

Que le masque soit accroché au mur ou joué par un comédien, il est toujours porteur de ce que le spectateur projette sur lui.

 

Le masque que nous voyons dans ce cabinet des curiosités est un masque entier qui semble se dédoubler. Frontalité du masque. Qui dévisage qui ?

 

L'intérêt de créer un masque multiface est de pouvoir passer rapidement d'une facette à l'autre, voir de jouer conjointement différentes facettes. Mais les deux faces de ce masque sont très symétriques.

 

L'asymétrie est au niveau du regard : un œil droit « lumineux », un œil gauche « sombre ». Le masque nous voit là de deux angles différents.

J’ose une correspondance… dans l’optique du jeu du Phénix, si je considère les deux flammes intensificatrices du Masque, -20 l’œil fou et -19 La Perle folle… je trouve de quoi les assimiler à ces yeux :

 

La Loupe et le Mirage

« La Loupe » et « Le Mirage »

 

Un œil qui porte une attention excessive aux détails et nous empêche d’avoir une vue globale. D’autant que l’on peut se perdre dans les détails et oublier l’essentiel.

Un œil qui s’illusionne. Une vision déformante qui nous dissimule la réalité en nous plongeant dans les fantasmes. À prendre des vessies pour des lanternes…

Déjà qu’il est hasardeux de juger en fonction de l’apparence, si en plus on a une vision fragmentée ou flou…

 

Je vais donc essayer de regarder le Masque en évitant ces « charybde et scylla ».

Mais ce ne sont peut-être pas les plus dangereux.

 

3ème Oeil

 

Avec ce troisième œil au centre, c’est tout naturellement que nous focalisons sur lui. Je dirai que cet œil capte notre regard, le happe. (Mais moi, ça ne m’empêche pas d’explorer cette image dans son ensemble. Même pas peur !)

 

Notre Masque, rendu "monstrueux",  peut susciter l’effroi, l’épouvante.

 

Si le masque fait peur alors celui qui le porte acquière le pouvoir de faire peur aux autres ; on peut s'amuser à faire peur, surtout, on découvre qu'en jouant le masque il ne nous fait plus peur, et bien sûr ça aide à ne plus avoir peur des autres.

 

Carapace de Limule

On voit ici une limule, créature dotée d’une carapace protectrice.

Le masque de Nô est un masque de théâtre, néanmoins il est aussi utilisé comme protecteur des maisons puisqu’on lui prête le pouvoir de s’attaquer aux mauvais esprits et aux émotions négatives qui infectent l’espace de vie. À son propos, il y a cette légende « urbaine » : "Le masque de Nô a le pouvoir d’absorber l’énergie et les pensées négatives de son porteur. Si quelqu'un portait négligemment un masque de Nô, l'âme serait aspirée du corps; provoquant la pourriture de la chair. Une fois que le propriétaire est mort, le masque change de corps, mais il ne laisse pas l’ancien corps derrière lui, en fait, il colle l'ancien corps dans celui de sa nouvelle victime. On dit que l'âge et la puissance du masque de Nô déterminent la rapidité avec laquelle l'âme d'un porteur est prise."

Porteurs inexpérimentés s’abstenir !

 

Arya et le Dieu Multiface

Arya Stark (Game of thrones), en apprentissage dans le temple du dieu Multiface.

Extrait :
Homme: « Une fille est-elle prête ? À abandonner ses lèvres, son nez, sa langue ? Ses espoirs et ses rêves, ses amours et ses haines ? Tout ce qui fait qu’une fille est ce qu’elle est ? À jamais ? Non. Une fille n’est pas prête à devenir personne. Mais elle est prête à devenir quelqu’un d’autre. »

 

En onde de choc, il n'y a pas vraiment jeu mais possession, on est sous l'emprise du masque.

 

Gurdjieff :

« Mourir signifie que l'homme doit se libérer d'une multitude de petits attachements et d'identifications qui le maintiennent dans la situation où il se trouve actuellement. L'attachement aux choses, l'identification aux choses, maintiennent vivants dans l'homme un millier de "moi" inutiles. Ces "moi" doivent mourir pour que le grand Moi puisse naître. Mais comment peuvent-ils être amenés à mourir ? Ils ne le veulent pas. C'est ici que la possibilité de s'éveiller vient à notre aide. S'éveiller signifie réaliser sa propre nullité, c'est-à-dire réaliser sa propre mécanicité, complète et absolue, et sa propre impuissance, non moins complète, non moins absolue. Lorsqu'un homme commence à se connaitre un peu, il voit en lui-même bien des choses qui ne peuvent pas ne pas l'horrifier. Tant qu'un homme ne se fait pas horreur, il ne sait rien sur lui-même. Un homme a vu en lui-même quelque chose qui l'horrifie, il décide de s'en débarrasser, de s'en purger, d'en finir. Et en sentant sa nullité, un homme se verra tel qu'il est en réalité, non pas pour une seconde, non pas pour un moment, mais constamment et il ne l'oubliera jamais. Cette conscience continuelle de sa nullité lui donnera finalement le courage de "mourir", en renonçant positivement et pour toujours à tous ces aspects de lui-même qui ne présentent aucune utilité du point de vue de sa croissance intérieure, ou qui s'y opposent. »

 

« Renoncer à tous ces aspects de lui-même », Gurdjieff ne conseil donc pas d’en jouer ?!

Gurdjieff (1924) :

« Un véritable acteur est celui qui crée, qui peut produire intégralement les sept couleurs du spectre. Mais le plus souvent, un acteur, aujourd’hui, n’est acteur qu’extérieurement.

Ce n’est que dans sa propre imagination et dans celle des autres qu’un acteur fait figure de créateur. En réalité, il ne peut pas créer. L’acteur ne peut pas posséder ce qu’un autre homme possède — il ne peut pas ressentir ce qu’un autre ressent.

Celui qui a un « je », et qui connaît ce qui est requis dans tous les domaines, peut jouer un rôle. Celui qui n’a pas de « je » ne le peut pas. L’acteur ordinaire ne peut pas jouer un rôle — ses associations sont différentes. Il peut seulement avoir le costume approprié, et prendre tant bien que mal les attitudes qui conviennent, faire les grimaces que le metteur en scène lui a montrées. L’auteur, lui aussi, doit connaître tout cela.

Pour être un vrai acteur, il faut être un homme véritable. Un homme véritable peut être un acteur et un acteur véritable peut être un homme. Chacun devrait essayer d’être un acteur. C’est un but élevé. Le but de toute religion, de toute connaissance, est d’être acteur. Mais aujourd’hui, tous sont des « acteurs ». »

 

En onde de choc, le Masque empêche l’authenticité.

Au théâtre, ça correspondrait à jouer « faux ».

Bien sûr, le Masque peut symboliser les faux-semblants.

Le regard de l'autre peut faire peur et s'est souvent ça qui motive la dissimulation, voir même le mensonge.

Si le masque centrale ne permet pas de faire « bonne figure », qu’à cela ne tienne, on peut considérer chaque élément épinglé ici comme un masque que l’on peut décrocher pour s'en revêtir.

Ainsi, pour avoir l'air mignon et joyeux:

 

Oiseau

 

 

À l'origine, nous avons un joli masque féminin destiné à être porté sur les scènes du théâtre Nô, masque devenue ici monstrueux. Tel Méduse la gorgone, prêtresse aux cheveux d’or d’Athéna, violée par Poséidon/Neptune (dans les Métamorphoses d’Ovide). Athéna/Minerve ne pouvant pas grand-chose contre son oncle punit Méduse (pas très juste ça), elle transforme sa belle chevelure en serpents et ses yeux pétrifient désormais ceux qui la regardent. Méduse affiche donc une face « honteuse » et va se réfugier dans une grotte… jusqu’à ce que Persée la débusque.

 

Méduse Mythologie

Le Choc des Titans de Desmond Davis, 1981.

 

La tête tranchée, elle devient masque: Le Gorgoneïon, un masque dont le regard est encore capable de pétrifier, à moins de ne pas le regarder directement, à moins de la regarder au travers d’un miroir, donc, de n’en voir qu’une image (comme notre flamme du Jeu du Phénix).

Persée s’en servira pour pétrifier ses ennemis et il finira sur l’égide d’Athéna.

On retrouve l’image du Gorgoneïon sur le bouclier des guerriers.

Vaincu, le monstre nous prête sa force.

Le masque aussi nous prête sa force.

Gorgoneïon

Le Gorgoneïon aurait pu illustrer un jeu du Phénix antique.

 

Camée MéduseTête

Une méduse ?!

 

Jean-Pierre Vernant explique, dans La mort dans les yeux, que « les Grecs, en Gorgô, on féminisé un aspect particulier de la mort : l’horreur qu’elle suscite par son altérité radicale ».

Qu’il s’agisse d’un troisième œil ou de serpents en guise de chevelures, nous avons affaire à une altération qui peut effectivement signifier l’altérité.

 

La mort dans les yeux

Jean-Pierre Vernant La mort dans les yeux Hachette Littératures 1998

 

Sylvie Anahory Méduse ou le miroir des abîmes :

« En dévoilant sa face, Méduse-Gorgô dérobe le visage de l’autre comme le miroir usurpe le regard mobile. Grâce au reflet, l’objet spéculaire révèle le visage de l’autre en soi, tout en le dédoublant : car si le miroir simule une ressemblance, il dissimule la vérité. Les surfaces réfléchissantes et les mirages optiques morcellent l’image du corps. Comme l’ombre ou le fantôme, le reflet devient un double dangereux et l’imago évolue en persona jusqu’à évincer l’individu. Seule la surface miroitante permet de se voir soi-même, et « ne pouvant nous voir, nous nous imaginons. Et chacun, se rêvant soi-même et rêvant les autres, reste seul derrière son visage ». René Daumal, cité par Jean Biès, René Daumal, Paris, Éditions Seghers, 1967, p. 80. »

 

Dans le miroir, une fenêtre… une issue ?

 

Paul Diel Le symbolisme dans la mythologie grecque (Payot 1966) :

« La reine des Gorgones, Méduse symbolise la perversion de la pulsion spirituelle : la stagnation vaniteuse.

Contre la culpabilité issue de l’exaltation vaniteuse des désirs, il n’est qu’un seul moyen de sauvegarde : réaliser la juste mesure, l’harmonie. L’unique moyen : la clairvoyance à l’égard de soi-même, contraire à l’aveuglement vaniteux et médusant. 

L’aveu de la culpabilité (de la faiblesse à l’égard de l’harmonisation) n’est pas nécessairement un défoulement compréhensif et libérateur. L’aveu peut-être – il est presque toujours – une forme spécifique de l’exaltation imaginative : le regret exagéré. L’exagération de la coulpe inhibe l’effort réparateur. Elle ne sert au coupable qu’à se refléter vaniteusement dans la complexité – imaginée unique et de profondeur exceptionnelle – de sa vie subconsciente. L’aveu exagéré est un mensonge qui invite à une rectification non moins imaginative : peut-être n’est-on pas aussi coupable que l’on veut bien se le reprocher. – De justification en justification (les circonstances, les autres) on aboutit au « peut-être n’est-on en sommes pas du tout coupable, voire même assez parfait comparé aux autres ». – Mais aucune suggestion de l’imagination exaltée n’est réellement convaincante. Ce « peut-être », cette affirmation douteuse, cette graduelle transformation de l’inculpation excessive en excès de disculpation, risque d’entraîner dans un encerclement vicieux, fait d’une succession obsessive de nouvelles auto-accusations et auto-justifications.

L’aveu lui-même doit être exempt d’excès de vanité et de culpabilité.

Méduse symbolise l’effroi, le désespoir à l’égard de soi qui saisit l’âme vaniteuse dans les éclairs de lucidité où il lui est donné de se voir à nu.

La pétrification par l’horreur (par la tête de Méduse, miroir déformant) est due à l’incapacité de supporter objectivement la vérité à l’égard de soi-même. Une seule attitude, une seule arme, peut protéger contre Méduse : ne pas la regarder afin de ne pas être pétrifié d’horreur, mais capter son image dans le miroir de la vérité (le bouclier luisant d’Athéné).

Persée vainc et tue Méduse. Il décapite le monstre pour emporter la tête en trophée. Du sang qui jaillit de la blessure s’élève Chrysaor (l’épée d’or), symbole de spiritualisation, et le cheval ailé, symbole de sublimation. Persée donne ainsi naissance à Pégase.  L’imagination perverse doit mourir, afin que naissent les deux formes de l’imagination créatrice : la spiritualité et la sublimité.

Les trois manifestations de l’élévation sublime sont la vérité, la beauté, la bonté. La pensée véridique et la bonté active sont, du sens de la vie, les expressions les plus clarifiées, dépouillées au plus haut degré de la multiplicité grouillante des désirs. La beauté, au contraire – domaine de l’art – est le sens de la vie, l’essence, vue à travers le tumulte des passions, à travers l’apparition multiforme et multicolore. L’art, au lieu de dissoudre activement la déformation, joue imaginativement et sublimement avec cette matière psychique, même impure. Il est impossible que l’art en soit détaché, puisque, pour dresser de l’affectivité un tableau imagé, l’artiste doit présenter à l’imagination les couleurs et les contours de la vie, même dans ses manifestations perverses (les séductions et les enchaînements de leurs conséquences néfastes) afin d’en dégager la forme pure, la beauté de la légalité secrète. Méduse – d’après l’image mythique – « dévore » Pégase : elle empêche l’imagination créatrice de prendre son envol. Mais Méduse aussitôt morte, l’image vraie de la vie renaît : Pégase est délivré. »

 

Dans le Jeu du Phénix c’est 20 l’Œil, dite « flamme incompatible » avec la flamme 6 du Masque, qui symbolise justement la clairvoyance.

 

Pour nous autres, praticiens du théâtre de masques : « Le masque ne cache pas, il révèle. Il rend visible l’invisible. »

 

William Shakespeare, Hamlet: « Le théâtre a pour objet d'être le miroir de la nature, de montrer à la vertu ses propres traits, à l'infamie sa propre image, et au temps même sa forme et ses traits dans la personnification du passé. »

Un étrange attribut : les sangsues en guise de sourcils.

 

Larves ou sangsues

 

Peut-être ne s’agit-il que de larves. Larva, veut aussi dire masque.

 « Les  larves  sont  des  génies  malfaisants,  des  âmes  qui  viennent tourmenter  les  vivants  sous  des  figures  hideuses;  or,  après  avoir désigné  des  êtres  invisibles,  larva  signifie  le  masque de  leur apparition,  puis  l'image  artificielle  faite  par  la  main  des  vivants. Horace  s'est  même  servi  du  mot  pour  désigner  un  masque  de théâtre. » Maurice Nédoncelle, Prosopon et persona dans l'antiquité classique. Essai de bilan linguistique.

 

Mais je reviens tout de même aux sangsues. On pourrait les considérer comme des espèces de vampires. Pourtant, les sangsues peuvent remonter le sang (la vitalité) des profondeurs, en hirudothérapie elles fluidifient le sang.

Je ne peux m’empêcher de voir là un trait d’humour entre le Masque et le Masque fou.

 

Marie Anaut L’humour entre le rire et les larmes, Traumatismes et résilience (éd. Odile Jacob 2014) :
"Entre optimisme triste et pessimisme gai
Le mot « humour » vient de l’anglais humor, lui-même dérivé d’un mot français, « humeur ». Du point de vue étymologique, il renvoie à la théorie grecque, attribuée à Hippocrate, des quatre humeurs issues des fluides corporels : le sang, la pituite (ou flegme, ou encore lymphe), la bile noir (ou atrabile) et la bile jaune. Selon les préceptes d’Hippocrate, les quatre humeurs influençaient les fonctions physiques et mentales des personnes et affectaient leur bien-être. Les tempéraments des hommes étaient expliqués par la prédominance de l’une des quatre humeurs. Ainsi furent répertoriés : le sanguin, le bilieux, l’atrabile et le lymphatique, ou flegmatique. Dans l’Antiquité, les humeurs étaient elles-mêmes associées aux quatre éléments : le sang à l’Air, la bile au Feu, l’atrabile à la Terre, la pituite (ou flegme) à L’Eau.
Cette théorie postulait que la prédominance de l’une ou l’autre des humeurs pouvait conduire à un déséquilibre qui expliquait les affections. [...]
Selon une logique toute causaliste, il fallait donc réguler les fluides pour guérir les malades. Le sang était considéré comme le fluide privilégié pouvant transporter les « mauvaises humeurs ». Il convenait donc de ponctionner du sang pour libérer ces mauvaises humeurs et soigner toutes sortes de maladies."

 

-6 Vs 6 = Humour Vers-sucent Crispations (Cris-Passions)

 

Charlie Chaplin : « Pour rire vraiment, vous devez être en mesure de saisir votre douleur et de jouer avec. »

 

Avec la théorie des humeurs nous avons un principe bien pratique pour caractériser nos personnages.


Notre masque, rouge rose, est-il un sanguin ? S’il est dans les tons rouge c’est surtout qu'il devient le nez rouge du Clown dans le Masque fou, symbole de vitalité (le sang) et de l’ivresse du masque en jeu (le vin). Le nez rouge de l’Auguste est hérité du nez rouge des ivrognes. Comme le vin, le jeu désinhibe. (Sur le nez de clown, je renvois à un autre article que j’ai rédigé : Pourquoi le Nez ?)

 

A noter que « Thespis, créateur de la tragédie attique (534 avant J.-C.), se barbouilla d'abord le visage de lie de vin ou de céruse avant d'introduire définitivement l'usage du masque. ». Lie de vin et céruse, donc un rouge et un blanc, si on les mélange on obtient quelque chose d’assez proche de la teinte de notre masque. (Pour certains c’est a Hoerile, contemporain de Thespi, qu’on doit l’usage des masques, pour Horace il faut remercier Eschyle.)

Comme « Ce n’est pas « moi », c’est « lui ». » on s’autorise davantage.

 

Toujours en Grèce : Dionysos, le dieu de la vigne.

Dionysos, figure multiple et complexe…

 

Paul Diel : « les significations de Dionysos très multiformes, et pourtant centrées autour du trait fondamental d’instabilité et d’intempérance, ne sont cependant pas dépourvues d’une certaine allure de sublimité trompeuse. Cette pseudo-sublimité est imputable à une indéniable recherche de l’intensité de la vie inséparable du symbole de Dionysos, mais qui détourne du désir essentiel et porte la satisfaction des désirs terrestres. Dionysos symbolise l’ivresse orgiaque dans laquelle peut sombrer la vie humaine. »

 

Ce que l’on s’autorise sur scène est « pour de faux », mais aux bacchanales, aux carnavals ou au bal masqué… ? L’anonymat permet certains écarts, des excès dans lesquels Paul Diel voit, pour ce qui est des fêtes dionysiaques, une décadence. Diel préfère Apollon.

Mais doit-on pour autant cantonner Dionysos au rôle de dieu infernal des excès ?

Il a manifestement d’autres facettes.

Il est aussi « le dieu du masque » !

Dionysos/Bacchus, « ancien Feu divin », a le Phénix comme animal consacré (c’est Wikipédia qui le dit). Les foys (= pratiquants du Jeu du Phénix) sont sensibles à l’idée de transformation et de renaissance par le feu.

Je ne vais donc pas jeter Dionysos au feu si facilement.

 

Masque fou -6

 

Dans le Jeu du Phénix, quand le Masque « disjoncte » et devient « fou » la carte est alors retournée. Il faut prendre du recul pour voir la face du Clown (fait unique dans les flammes du jeu où, normalement, il n’y a qu’un élément qui se retrouve à l’endroit), soit une forme de distanciation, de dissociation qui permet le jeu (ex: l'autodérision). Ce Clown a bien en lui tout ce qui compose l'image, il est riche de cela, et avec tout cela il peut se révéler protéiforme.

Un détail tout de même: les ailes masquée (couleur "lie de vin") deviennent "le rire" du Masque fou - l'humour donne des ailes!

Coupe attique à yeux :

 

Coupe attique à yeux

  Groupe de Walters 48.42 fin du 6e siècle av J.-C. (musée du Louvre)

A l’extérieur : masques de Dionysos. A l’intérieur : Gorgô.

 

Pourquoi des yeux sur une coupe de vin ? Et bien, imaginer le buveur lever sa coupe, les deux yeux peints se trouvent à la hauteur de son visage, la coupe devient masque.

(J’ignore toujours ce que représentent exactement les deux grosses boules mais au moins je vois maintenant à quels grands yeux elles renvoient lorsque le Masque disjoncte.)

 

Masque de Dionysos

Reproduction en terre cuite de l'accessoire de théâtre

IIe - Ier siècle avant J.-C. (Musée du Louvre)

Masque de Dionysos (?) Masque de jeune homme

 

On pourrait dire, en s’inspirant de la thèse de Friedrich Nietzsche, dans la Naissance de la tragédie, qu’apollon est le sculpteur du masque que Dionysos fait danser :

« Apollon, dieu des énergies qui façonnent. Son nom signifie Lumineux, et il règne aussi sur la belle lumière du monde intérieur de l’imagination. La vérité supérieure, la perfection qui transparaissent dans ce monde et qui s’opposent à la réalité du jour dont nous n’avons jamais qu’une compréhension fragmentaire, notre profonde confiance dans l’action secourable et salutaire du sommeil et du rêve constituent l’homologue symbolique du don de prophétie et des arts en général qui rendent la vie possible et digne d’être vécue. Mais cette frontière délicate, que le rêve ne doit pas franchir sous peine de tomber dans la pathologie auquel cas l’apparence nous leurrerait comme une réalité grossière cette frontière aussi est inséparable de l’image d’Apollon. Elle appartient à son esprit de mesure, à son éloignement des impulsions brutales, à sa sagesse sereine de dieu sculpteur. L’œil d’Apollon doit être « solaire » comme, par son origine, le dieu lui-même; fûtil courroucé ou malveillant, Apollon ne se départit pas de la belle apparence qui constitue l’attribut de sa divinité. »

 

 

Deux yeux

 

Deux grands yeux !

19 La Perle (« l’imagination créatrice »*) et 20 l’Œil (« la lumière de l’esprit »*) sont les deux flammes « intensificatrices » de -6 le Masque fou (« la fantaisie identitaire »*).* dixit Vincent Cespedes

 

« Que ce soit sous l’empire du breuvage narcotique dont parlent les hymnes de tous les peuples primitifs, ou à l’approche du printemps qui émeut la nature entière d’un prodigieux frémissement de joie, on voit s’éveiller ces mouvements dionysiens qui, s’intensifiant, abolissent la subjectivité de l’individu jusqu’à ce qu’il s’oublie complètement.
C’est par des chants et des danses que l’homme se manifeste comme membre d’une collectivité qui le dépasse. Il a désappris de marcher et de parler; il est sur le point de s’envoler dans les airs en dansant. Ses gestes montrent qu’il est ensorcelé. Maintenant les bêtes parlent, la terre donne du lait et du miel, et en l’homme aussi quelque chose de surnaturel s’exprime. Il se sent dieu; porté au-dessus de lui-même, il foule le sol, extasié, comme dans son rêve il a vu faire aux dieux. L’homme n’est plus artiste, il est devenu œuvre d’art : ce qui dans la nature est créateur d’art se révèle ici dans les frissons de l’ivresse pour la profonde délectation de l’être originel. Ici se pétrit l’argile la plus noble, se sculpte le marbre le plus précieux: l’homme lui-même, et aux coups de ciseaux du démiurge dionysien répond l’appel des mystères d’Éleusis: « Vous vous écroulez, millions d’êtres? O monde, pressens-tu ton Créateur?
»

Apollon : « L'art véritable, c'est le pouvoir de créer des images ».

Dionysos : « L'effet de l'œuvre d'art, c'est de susciter l'état qui est créateur d'art, l'ivresse ».

 

(Nietzsche et le théâtre de Bernard Lambert.)

Le symbolisme nous invite à concilier les opposés.

 

Masques tragique et comique

6/-6 ??

 

Ces deux masques sont très expressifs, le premier plus alaise pour exprimer les émotions négatives, le second pour exprimer les émotions positives.

C’est à ce type de mosaïque antique que l’on doit l’utilisation des deux masques, triste et rieur, pour symboliser le théâtre.

En tant qu’instruments de théâtre, ces masques très expressifs limitent le jeu.

Cependant, en tant que symboles, un masque tragique pour l’onde de choc et un masque comique pour l’onde de charme, pourquoi pas.

Mais, ne nous y trompons pas, les masques comiques peuvent être tout aussi épouvantables que les masques tragiques.

Et loin de moi l’idée de prétendre que la tragédie, en tant qu’expression artistique de « l’horreur », soit d’onde de choc. Aristote justifie la tragédie par l’effet de Catharsis, une purification. D’un autre côté, au grand guignol et dans nombres de films d’horreur on vise le rire. Il n’est pas exclu que cela s’assortisse également d’une certaine fascination pour l’horreur. Et le rire peut être cruel.

C’est pourquoi je n’appelle pas le Masque fou : « le Rire » (comme le fait Vincent Cespedes), mais : « Le Clown », Il est toujours question d’« humour ». Le Clown ne passe pas son temps à rire, il peut même ne jamais rire, mais il fait rire le public, quoiqu’il puisse aussi le faire pleurer. Vous me direz : « Oui mais, pas loin des clowns, il y a les bouffons, ceux là ne sont pas toujours « charmant » ! » Certes, ça reste une lame à double tranchant, mais c’est le propre de « l’humour libre » de pouvoir transgresser la bienséance, de pouvoir provoquer par la bêtise, ou par la pertinence d’une moquerie.

 

Le grotesque côtoie le tragique.

Maria Patera Comment effrayer les enfants : le cas de Mormô/Mormolukê et du mormolukeion:
"Une scholie à Aristophane affirme que le terme mormolukeion désigne des masques aussi bien tragiques que comiques, et les qualifie d’?????? : laids, difformes. Seulement, ils n’étaient pas uniquement utilisés au théâtre : Aristophane les suspend également aux temples de Dionysos; c’est même à cela qu’on reconnaît son temple, ils servent par leur présence à marquer l’espace du dieu. Selon Henri Jeanmaire, ces mormolukeia étaient exposés « à titre apotropaïque ou pour conjurer les influences malignes »; ils attestent un lien avec l’univers dionysiaque; l’auteur paraphrase le fragment d’Aristophane, en disant que le dionysisme se rencontre partout où l’on suspend ce genre de masque grimaçant et effrayant. C’est possible. Cependant, Françoise Frontisi-Ducroux propose d’identifier ces mormolukeia aux masques de satyres à rôle apotropaïque suspendus aux temples de Dionysos.
Clément d’Alexandrie parle de la vérité qui se tient dissimulée, comme se cache « le véritable visage sous les masques ». Le mormolukeion est utilisé pour épouvanter, on se cache derrière lui, il est faux. En désignant ainsi le masque de théâtre, cette fausseté est mise en valeur : le masque-qui-prétend-être-ce-qui-n’existe-pas et l’épouvantail irréel des enfants deviennent synonymes. L’objet faux et l’histoire fausse acquièrent ainsi la même valeur.
En fin de compte, Aristophane utilise ces mormolukeia dont il se moque : il en a besoin. Ce rapprochement entre la scène théâtrale et la chambre enfantine s’effectuant dans l’invention de ce qu’on raconte sur l’une et dans l’autre, est peut-être à l’origine du fait qu’on peut généralement traduire notre terme aussi bien par « épouvantail » que par « masque »
".

 

Petite digression sur des masques « grotesques » de ma création :

Un ogre se doit de faire peur. Un masque se doit de faire de l’effet. Forcément ça donne quelque chose d’impressionnant.

 

On peut adoucir par le « ridicule » :

Ogre clown

 

Oui bon… il peut toujours faire peur, mais, n’ayez crainte, ce n’est qu’un masque.

Oui mais… certains sont facilement impressionnables (certains ont même peur de masques qui n’ont rien d’effrayants).

Problème auquel s’est trouvé confronté un autre de mes ogres…

 

Ogre

 

… qui va à la rencontre d’un public :

 

L'ogre Georges et les bonbons roseOgre Georges

L’ogre et les bonbons roses par la compagnie des Petits chantiers.

 

L’ogre Georges a perdu toutes ses dents, il ne peut plus manger d’enfants. Bertrand Renard, le comédien, adopte un jeu comique. Au début, il joue démasqué un personnage très sympathique, inoffensif, pour que les enfants le voient chausser le masque, justement pour désamorcer le risque qu’ils aient peur. Et pourtant, il est arrivé que de jeunes enfants veuillent quitter la salle. Quant à Bertrand, il avoue qu’avec un public à partir de 8 ans, il peut se lâcher davantage, ce que, bien sûr, il apprécie.

 

Ogre Georges

 

Dans le cas des comédiens masqués, pas de mensonge, on voit qu'ils portent des masques, on sait qu’ils jouent. Souvent, ils dénoncent la mascarade, ce peut être l'un des messages véhiculé par leur art.

C’est vrai que les comédiens se dissimulent sous le masque. Pour bien jouer le jeu et profiter de la magie il faut leur accorder cet artifice. Il y aura toujours des curieux pour vouloir démasquer ces comédiens (-20) ou qui seront fier de pouvoir dénoncer le « faux » et briser l’illusion (l’ogre Georges a aussi rencontré un enfant comme ça), cela ne feront pas de bons spectateurs, tant pis pour eux.

 

Un art de la métamorphose, et ce, au-delà du réalisme.

Au théâtre, le masque est l'apparence du personnage et le personnage un esprit, un fantôme.

Mais une personne digne de ce nom n'est pas un personnage, une personne digne de ce nom doit avoir conscience de porter un masque et, si elle peut, en jouer en respectant son authenticité, un masque que l'on puisse changer, qui reste malléable, qui ne nous contraint pas plus que de nature dans notre liberté mais nous offre les moyens de.... Si Oui: -6 Le Masque fou en onde de charme, si Non: 6 le Masque en onde de choc.

 

Se saisir des possibilités de Jeu, des possibilités du Je. Un Je multiple.

La Trans-analyse d’Imanou Risselard et Pol Charoy :

« Ce que je joue de moi ne se joue plus de moi

Nous apprendrons à traquer nos formes et à nous traquer pour ne pas les laisser s’échapper. Nous appliquerons la « théorie des vampires » : nous éclairerons nos formes caractérielles grâce aux rayons ardents de notre conscience pour qu’elles cessent de nous posséder. Nous apprendrons aussi à les apprivoiser. En nous amusant avec elles. En les nommant. En prenant plaisir à les découvrir… Et à les jouer. En les célébrant. En les amplifiant. Nous apprendrons à les « défroisser ». À défaire les « plis » de l’être pour que peu à peu se révèle notre essence, au-delà de notre histoire. »

 

En onde de charme, jouer le Masque fou aide à fluidifier nos personas.

 

Persona = masque en latin, « masque social » pour Jung, par extension et au pluriel : nos différentes facettes ou sous-personnalités, qui se manifestent en nous, par nous, mais qu’il ne faut pas confondre avec notre essence, notre Centre, Soi.

Montaigne : «  Du  masque et de l'apparence,  il n'en faut pas faire  une essence  réelle.  »

Le mot français masque renvois à l’idée de dissimuler, de tromper. (Sur la distinction entre les mots « πρόσωπον » et « masque » voir Dionysos avec ou sans masque ? de Jean-Marie Pailler.)

 

Tao T’es Clown de Lydie Taïeb et Jean Puijalon :

« D’un côté, l’Artiste doit tenir compte d’une énergie individuelle d’existence au parfum très singulier qui demande s’incarner  chaque fois que possible, qu’on pourrait appeler sa ‘Pulsion de Vie’, dont la personnification est le Clown Invisible.

De l’autre, s’il veut survivre, il doit se conformer aux us et coutumes sociaux, même si ça ne lui plaît pas. A lui de travailler sa Persona, son masque social qui va lui fournir sa ‘Sécurité Sociale’, en sachant qu’il n’est pas obligé d’y croire, évidemment. Personne ne le lui demande.

Chacun a une certaine prescience intuitive, une conscience-sentiment même vague de ce qu’il « devrait faire ou être », de ce qu’il « pourrait faire ou être ».

Ne pas tenir compte de cette intuition, s’en écarter ou s’en éloigner, privilégier par peur le non-sens et la bureaucratie de l’Ego, revient à s’engager sur la voie de l’erreur, et à plus ou moins long terme, déboucher dans la maladie.

La Voie du Clown Eveilleur propose à la conscience de l’Artiste de faire le lien entre ce qu’il devrait ‘être’ mais qu’il n’est pas et ce qu’il est obligé de ‘paraître’ et qu’il n’est pas non plus.

Le Clown Arc-en-Ciel se présente comme celui qui montre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur comment l’Artiste, par son travail de conscience, conjoint la puissance de son Clown Invisible et les contraintes de sa Persona.

Funambule conscient des contextes et des contraintes, de l’unité vivante du visible et de l’invisible, le Clown Arc-en-Ciel danse en paix sur le Fil de l’Instant Présent. »

 

Des masques en vous de Stefano Scribani (décédé en 2010, créateur de la méthode Masques et Attitudes, qui utilise des archétypes de la Commedia dell’arte) :

 « Les masques ont plus ou moins d’ascendant sur nous. En fonction de chaque individu, l’ordre et la nature de cette influence varient. De la proximité que nous avons avec tels masques, de l’étrangeté que nous imputons à certains, ou de l’incompréhension que nous ressentons pour d’autres, nous traçons un plan de plus en plus lisible, qui montre de quelle façon ces énergies agissent sur nous. C’est un peu comme si chacun de ces masques voulait faire de notre espace intérieur une scène où s’exprimer.

Comme tout symbole, le masque véhicule ainsi un certain nombre de croyances qui vont le magnifier ou le diaboliser. Le masque, comme chacun de nous, subit lui aussi ses propres a priori. Ils sont d’autant plus tenaces que l’ignorance et la peur les consolident. Les masques ne sont pourtant là que pour nous enseigner combien nous sommes riches d’eux.

Chaque masque est comparable à une couleur de l’arc-en-ciel : dans chaque couleur existent des nuances infinies. Le travail des masques conduit à nous éloigner des poncifs et à révéler toute l’étendue de notre palette personnelle.

Porter le masque, c’est aussi ne plus être sous la domination de son visage, des réflexes comportementaux acquis, c’est aller se chercher ailleurs, dans sa troupe intérieure riche et multiple.

Porter le masque signifie adopter une attitude qui prend du sens dans un contexte donné, elle est a tout instant modifiable en fonction des objectifs que nous voulons atteindre. »

(Du même auteur : Accédez aux ressources cachées de votre personnalité.)

 

 

C’est troublant de se regarder dans le miroir et d’y voir quelqu’un d’autre.

C’est troublant de se dire qu’on pourrait être quelqu’un d’autre.

C’est troublant de se dédoubler.

C’est troublant de « s’abandonner » pour « rentrer en transe ».

C’est troublant d’être à la fois acteur et spectateur.

Un vin trouble à boire pour profiter de « l’ivresse du masque » ?

 

Ce qui me rappelle un passage de La conférence des oiseaux (adaptation théâtrale de Jean-Claude Carrière du poème de Farid Uddin Attar) :

Huppe : Un homme fit un voyage en Perse. Quand il revint chez lui, il avait tout perdu, son argent, sa force – et même un œil. Il avait les lèvres sèches. Ses amis lui demandèrent : « Mais que s’est-il passé ? » Il répondit : « Je passais par hasard devant une maison. La porte était ouverte. J’ai vu des hommes qui ne disaient rien. Ils étaient purs. Ils avaient à la main un flacon de vin trouble. Je ne sais rien de plus, sinon que j’ai tout perdu. » Alors ses amis lui demandèrent : « Mais qu’est-ce qu’ils ont fait ? Qu’est-ce qu’ils t’on dit ? » Et l’homme répondit : « Ils m’ont simplement dit : Entre. »

Un silence étonné accueille ce récit.

Puis un des oiseaux demande :

Oiseau : Que signifie cette histoire ?

Huppe : « Ils m’ont simplement dit : Entre. »

Héron : Mais dis-nous pourquoi nous devons abandonner notre vie ?

 

Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi la Huppe raconte cette histoire pour convaincre les oiseaux d’effectuer le voyage, de s’envoler en quête du Simorg. « Ils ont simplement dit : « Entre. » » ce n’est pas une raison pour leur faire confiance. Le voyageur a tout perdu ! Mon metteur en scène était pour couper ce passage mais, finalement, je l’ai convaincu de passer la réplique au Héron pour en faire sa dernière excuse. Après tout, c’est lui qui enchaîne par « Mais pourquoi nous devons abandonner notre vie ? ».

Pourquoi jouer un autre que soi si c'est pour se perdre ? (par exemple)

Plus loin, les oiseaux doivent participer à un rituel.

Vieillard : Si vous voulez aller plus loin, quelque chose doit disparaître. Ah, moi j’ai vu mourir le Phénix.

Pour suivre l’exemple du Phénix, les oiseaux doivent se résigner à « mourir », aussi jettent-ils leurs vieilles dépouilles aux flammes. « Tout perdre » ?!

C’est ce qui leur permet d’accéder à la première vallée. À chaque fois que les oiseaux entrent dans une vallée ils sont confrontés à son aspect « choc » (pour reprendre la terminologie foyn), mais pour en sortir et accéder à la vallée suivante, ils doivent réussir à y découvrir son « charme ».

C’est le changement qui est troublant, ou de se retrouver dans un entre-deux, comme le Héron le dit dans la vallée de la Stupeur : « C’est à la fois le jour et la nuit et ce n’est ni le jour ni la nuit. ».

A l’issu du voyage, c’est un miroir qui est dévoilé aux oiseaux, un miroir qui leur permet de voir le Simorg, c’est-à-dire eux-mêmes « tout entier ».

Et les comédiens rassemblés font face au public.

 

Avant de porter le masque, le comédien regarde celui-ci pour s’en imprégner. Autant dire qu’il se met en miroir, manière de se préparer avant de rentrer dedans.

De cette rencontre avec une forme, trouver l’inspiration pour son personnage.

Un personnage qui se créé aussi avec le regard du public, puisque, pour le comédien, le public est aussi un miroir.

 

On peut aussi s’imprégner et méditer dans la contemplation d’une œuvre picturale.

On peut le faire avec les flammes du Jeu du Phénix ; où notre intuition est le fruit de notre sensibilité du moment. C'est toute la richesse de ces images de permettre, suivant le contexte du tirage, d'y voir différents aspects.

Comme pour les masques, il faut faire attention à en faire bon usage, bon « sensage ».

 

Se désidentifier d’une image en particulier pour pouvoir se reconnaître en toutes images. Préserver le jeu, comme entre deux pièces mécaniques : l’espace pour se mouvoir. Jouer en conscience… Danser en transe…

 

William Shakespeareextrait de Comme il vous plaira« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »

Le sourire au pied de l’échelle d’Henry Miller :

"Auguste, lui, tout en étant un homme, était forcé de devenir quelque chose de plus : forcé de se charger des pouvoirs d'un être très particulier, au génie très singulier. Forcé de faire rire le peuple. Faire pleurer les gens n'était pas difficile; ni même les faire rire; il y avait beau temps qu'il avait découvert cela-bien avant qu'il eût seulement rêvé de cirque.

C'est drôle, hein? Un fond de teint, un rien de blanc, une vessie, une défroque de carnaval… il n'en faut pas beaucoup, et zéro, plus personne ! Car c'est cela que nous sommes… zéro. Personne, et en même temps tout le monde. Ce n'est pas nous qu'ils applaudissent, c'est eux-mêmes.

Etre soi-même, rien que soi-même, c'est inouï. [...] Le tout, c'est de ne pas vouloir être ceci ou cela, ni grand ni petit, ni habile ni maladroit...

« Bon, il y a une chose que je comprends, à présent… mon bonheur était réel, mais sans fondement. Il me faut le rattraper au collet, mais cette fois honnêtement. Et m’y cramponner des deux mains, comme à un bijou inestimable. Apprendre le bonheur en tant qu’Auguste, comme le clown que je suis. »

En général le bonheur, pour un clown c’est d’être quelqu’un d’autre. Et je n’ai envi d’être personne d’autre que moi-même.

Je sais maintenant qui je suis, ce que je suis, et ce que je dois faire. C’est ça la réalité.

Il avait l’impression de ne plus avancer dans le noir. Le véritable problème, dans son cas – commençait-il à percevoir – gisait dans le fait qu’il était incapable d’infuser aux autres sa certitude de l’existence d’un second univers : un univers situé par-delà l’ignorance et la fragilité, au-delà du rire et des larmes. C’était une barrière qui le condamnait à rester un clown ; clown de Dieu même, car en vérité il n’était personne au monde à qui il pût expliquer le dilemme.
Et là, tout à coup l’idée lui vint – si follement simple ! – que de n’être personne, ou d’être n’importe qui ou tout le monde, ne l’empêchait pas d’être lui-même. S’il était réellement un clown, alors il devait l’être à fond, de l’heure de son lever jusqu’à celle ou il fermait les yeux. Clown indifféremment à tout instant, qu’on le payât, ou pour le pur plaisir d’être. Si inébranlablement convaincu devint-il de la sagesse de cette idée, qu’il fut dévoré de l’envie de commencer tout de suite… sans maquillage, sans costume, sans même l’accompagnement de ce fichu vieux crin-crin. Il serait si totalement lui-même, que seule la vérité, qui maintenant brûlait en lui comme un incendie, serait reconnaissable."

 

 

 

 

Annexe pour les foyns :

Sensage des ombres qui font disjoncter

 

Pour les non-foyns qui poursuivraient leur lecture : je précise qu’une flamme qui disjoncte change d’onde. Une flamme peut disjoncter en fonction de la flamme qui se retrouve dans son ombre. Pour le Masque 6 en onde de choc, ce sont toutes les flammes qui sont, comme lui, paires et en onde de choc, Matka (qui fait tout disjoncter) et le Phénix (qui fait passer en onde de charme). On peut se contenter de ne senser que la flamme « en lumière », personnellement, j’essaye de senser toutes les ombres. On considère généralement les flammes en ombre comme étant ce que l’on ne veut pas (par rejet ou par peur, c’est qu’on a tendance à les voir sous leur côté choc), ce que l’on ne choisit donc pas. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont aucune influence. Quand une ombre fait disjoncter son effet se ressent indéniablement.

 

Quand c’est le Masque qui disjoncte :

 

2 La Tempête

Pour éviter la catastrophe, je choisis de jouer avec « l’accident ».

« L’accident » inattendu, c’est du pain béni pour le clown en scène.

 

4 Le Labyrinthe

Pour éviter de me perdre et d’être bloqué, écartelé, je choisis de jouer avec ce qui est là, y compris le « rien ».

Et oui, le clown peut même jouer le bide.

 

8 La Tour

Pour éviter l’isolement, je choisis de me montrer dans ma singularité, y compris dans mon étrangeté.

Le clown a souvent un côté « autiste », différent, asocial… Le clown ne cache rien, on voit toute ses faiblesses et c’est ce qui le rend touchant.

 

10 L’Epée

Pour éviter d’être réduit à une tête tranchée, je choisis de faire de celui qui me fait face dans le miroir un partenaire de jeu.

 

12 L’Elixir

Pour éviter la mécanicité d’une méthodologie, je choisis l’enivrement inspirant.

 

13 Le Phénix

Pour ne pas mourir, je choisis de renaître clown.

Ou, pour ne pas n'être qu'un mort-vivant, je meurs à l'ancien "moi" pour m'adonner à la fantaisie identitaire.

 

Matka Le Voyage

Matka rend fou et le Clown ne peut que suivre le mouvement… en improvisant.

 

 

Quand c’est la Masque qui fait disjoncter :

 

-2 La Tempête folle

Pour éviter l’immobilité stagnante, je choisis de me débarrasser de l’ancien pour me décongestionner.

 

-4 Le Labyrinthe fou

Pour éviter de stagner sur place, je choisis l’exploration.

 

- 8 La Tour folle

Pour éviter de devenir un monstre, je choisis de méditer.

 

- 10 L’Epée folle

Pour éviter la pétrification, je choisis de trancher équitablement.

 

- 12 L’Elixir fou

Pour éviter de rester figé, je choisis l’invention.

 

 

Décidemment j’ai bien adopté une vision de Masque choquant plus proche du Gorgoneïon que de l’idée de dissimulation ou de mensonge.

 

 

Mots-clés

 

Notés après la rédaction de l’article.

 

6

 

Etrangeté

Pétrification

Dissimulation

Fascination

Identification

Rigidité

Conservation

Angoisse Honte Frustration

Protection

 

 

-6

 

Originalité

Animation

Représentation

Expressivité

Distanciation

Flexibilité

Créativité

Ivresse Humour Inspiration

Audace

 

 

Après, en comparant avec les propositions de Vincent Cespedes, sans surprise, dans l’esprit, nous sommes raccord sur -6, alors que j’introduis « Gorgô » en 6. Néanmoins, la formulation d’ « emprise du rôle » qu’il emploi pour le Masque 6 fonctionne toujours avec les conclusions que je tire de ma réflexion.

 

Tags du Masque 6Tags du Masque fou -6

Tags de Vincent Cespedes

(Merci à lui d’avoir mis « Commedia dell’arte » en -6 ! )

 

Vincent Cespedes qualifie -6 de « second degré facétieux », je dirai alors que 6 est le « premier degré trompeur » dans la mesure où l’on croit connaître en fonction de l’apparence et où l’on s’arrête et se fige à cette vision superficielle (intensifié par -20 "la Loupe"). « Tu as une tête à faire peur, donc tu es un monstre dangereux ! » Et bien… pas forcément. En fait, je ne vois pas le masque comme un menteur parce que, pour moi, c’est le spectateur qui se leurre à cause de ses apriori, ou alors c'est le comédien qui limite son jeu. Le porteur du "masque" peut aussi se tromper sur lui-même et se voiler la face (intensifié par -19 "le Mirage"). D'ailleurs l'activité théâtrale ne garantie pas l'évolution spirituelle.

Ce qui est aussi trompeur chez le Masque c'est qu'il est "riche" de tous les éléments qui surchargent l'image. Le hic c'est que l'attachement à tous cette richesse limite. Au moins le Masque fou peut nous sortir de cet "arrêt sur image" en jouant de ses limites et même, par le détachement, par un lâcher prise, étendre nos possibilités de jeu.

 

 

 

 

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Sébastien Bickert - Les masques du Héron

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